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          "À la recherche de l’âme perdue" est une peinture, qui en 1986 marque le point de départ de ma démarche artistique. Elle est emblématique d’une période de quête spirituelle et picturale, nourrie par mes études d’histoire de l’art et ma fascination pour la préhistoire. La recherche du sens me conduit alors vers les origines de l’art et je m’attache à explorer la fonction symbolique de la peinture. Assez vite je me focalise non sur les significations précises de tel ou tel symbole, mais sur leur caractère universel, archétypal, ainsi que sur leur géométrie. En observant le lien entre ces symboles archaïques et la géométrie présente dans la nature, je cherche à exprimer l'harmonie cosmique, qui englobe l’humain, son psychisme et son activité. Cela me conduit à interroger un phénomène étonnant, mystérieux et omniprésent - la symétrie.  Pour ce faire je change de médium. En utilisant les jeux de miroirs et le kaléidoscope je produis des structures symétriques en trois dimensions, au lieu de les représenter sur une surface plane. L’installation  "Nature réfléchie" (Musée de Lodz, 1991) est un moment charnière.

            Peu à peu, cette vision du monde sereine, idéalisée et abstraite m’apparaît intenable.  Je me rends compte qu’elle ignore l’histoire, la souffrance et la mort. Au cours des années 1990 je réalise plusieurs installations optiques basées sur les jeux de miroirs, qui donnent à voir des paysages et des espaces urbains infinis, ordonnés et déshumanisés. Un monde monstrueux et inquiétant. L’installation "Boîtes Noires" (1993) montre des vues aériennes, comme captées juste avant la catastrophe. Le "Jardin d’Hesdin" (1996) transforme la nature en Disneyland. Dans la série "Microespaces" (1999) des non lieux contemporains, standardisés et fantomatiques, démultipliés par les jeux de miroirs, évoquent le totalitarisme. Le miroir pose aussi la question du vertige que provoque la déréalisation du monde par les média.   Le spectateur de "L’Apéritif" est confronté à une mise en abîme, dans laquelle le réel et son simulacre télévisuel se confondent. 

          L’année 2001 marque un tournant. Le livre de l’historien Jan T. Gross Les Voisins. L’histoire de la destruction d’un village juif, produit un choc en Pologne en révélant la participation de certains Polonais à la Shoah. Cette histoire, de même que le refus d’une bonne partie de la société polonaise de reconnaître la responsabilité des Polonais, m’incitent à réagir. Je réalise "Après Jedwabne", une installation composée de vidéos et de miroirs, qui est un espace de recueillement et de désillusion. (Présentée à Sélestat en Alsace en 2003, elle ne le sera en Pologne qu’en 2008). À partir de ce moment-là la question de la mémoire de la Shoah devient ma préoccupation principale. En 2004 je démarre la réalisation d'un work in progress - le "Projet Treblinka". Il consiste à me rendre une fois par an à Treblinka, l’un des camps de la mort qui se trouvaient en Pologne pendant la Seconde Guerre mondiale, et de peindre une toile d’après la photographie prise sur place. Ce projet, qui comporte une dimension temporelle, vise à perpétuer la mémoire de l'extermination. Permettant d’observer l’évolution du lieu, mais aussi de notre rapport au passé, il devient peu à peu une sorte d’archive, une mémoire de la mémoire. Le recours à la peinture de paysage – car j’aurais pu me contenter de photographies – n’est pas anodin. Ces œuvres, ainsi que d’autres paysages des "Environs" de Treblinka que je réalise, peuvent s'inscrire dans l'héritage romantique. Cependant, il ne s’agit pas pour moi de revenir au romantisme du 19e siècle. Il s'agit, après la catastrophe de la Shoah, face à l'amnésie et au matérialisme de nos sociétés, de réinventer le romantisme en interrogeant la dimension spirituelle de l’art, en particulier de la peinture. Il s’agit en fin de compte de résister au désespoir et au consumérisme, tout en cultivant une conscience de l’histoire et une conscience écologique s’agissant du présent et du futur. 

            Mon intérêt pour l’histoire s’accompagne constamment d’un effort visant à relier le passé au présent. Ainsi dans le "Projet Treblinka" il s’agit d’une présence physique hic et nunc sur les lieux de la destruction. L’installation vidéo "Varsovie – Malkinia" (2013) est littéralement un voyage dans le passé. On y voit un voyage en train de Varsovie à Malkinia, effectué en 2010, le jour anniversaire de la déportation en 1942 de Jankiel Wiernik du ghetto de Varsovie à Treblinka. La lecture de son témoignage constitue la bande son. Une autre oeuvre - la série de portraits au fusain "Dans les yeux" (2016) donne aux visages des Juifs du ghetto de Varsovie tués à Treblinka une nouvelle présence. Dans ces portraits, réalisés à partir de photographies d’archives, j’ai modifié certains regards afin que toutes les personnes représentées fixent le spectateur. 

          À partir du "Projet Treblinka" (2004) la peinture redevient mon médium préféré. Abandonnant le parti pris anti-illusionniste des années 1980, je m'attache à peindre ce que je vois avec une précision photographique. En explorant la (mauvaise) visibilité de l'image je m'interroge sur la capacité de la peinture à représenter le réel. Dans la série "Départ de Lodz" (2007 – 2008), représentant des vues à travers les vitres embuées, l'image peinte, bien que photo-réaliste est à peine lisible. Sa contemplation est une expérience purement visuelle. Ne permettant pas d’atteindre la profondeur du réel, la peinture n'est qu'illusion et artifice. Partant de ce constat mon travail s’oriente selon deux axes: d'une part, les peintures sans sujet, telles que les "Reflets", "Pluies" et "Fluidités", jouant de l’illusion, de la couleur et de la déformation numérique de l'image; d'autre part, les représentations des lieux marqués par l'histoire, qui peu à peu s'éloignent du photo-réalisme.   

       En effet, en 2014 un basculement se produit. Dans le paysage de Treblinka, que jusqu’ici je représentais en respectant fidèlement la photographie, je déforme le sol, donnant l'impression qu'il s'est effondré. Ainsi, de métonymie (le lieu signifiant l'extermination) la peinture devient  métaphore (l'effondrement symbolisant l'extermination). Ce retour à la fonction symbolique ouvre à la peinture de nouvelles possibilités, tant sur le plan formel que celui de ses significations. Désormais à la mémoire de la Shoah s'adjoint la conscience des menaces actuelles, peut-être d'un nouvel effondrement. Mon travail s'oriente vers des questions liées à la nature, le réchauffement climatique et le devenir de la planète. Le langage symbolique, vaste, complexe, polysémique et ambigu me permet de combiner les styles, les formes, les mots, les langues et les rébus. Je m’efforce de prendre en compte à la fois une dimension imaginaire, consciente du projet, une symbolique ouverte et la spécificité de la technique et de la matière.

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Zofia Lipecka                                                                                                                                 Paris, avril 2020

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